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Phantom

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Au travers d’un discours non-prononcé par André Malraux à Cayenne, Pierre Michelon  s’intéresse à un épisode marquant de l’histoire de la départementalisation en Guyane française : le référendum de septembre 1958 portant sur la Constitution de la Ve République. « Un petit morceau de bois » aménage cette histoire au gré des versions : celles des gaullistes, des ministres, des indépendantistes, des communistes, ou tout à la fois. C’est le cas de Jean Mariema, figure importante du militantisme guyanais avec lequel l’artiste construit cette ébauche de film. Pour la soirée de performance-documentaire du lundi 31 Mars à Khiasma (lundi de Phantom n°11), il collabore avec David Legrand et invite Françoise Vergès et Mathieu K. Abonnenc à venir partager la discussion. Pour accompagner ce travail en cours, Pierre Michelon a rassemblé des textes et documents qui éclairent chacun à leur manière les enjeux de sa recherche.

R. Fortune est un personnage fictif développé à travers plusieurs projets de Camille Dumond. Les récits épisodiques R. Fortune sont tour à tour une forme de postulat, un récit d’évènement, ou de simples situations vécues par R. en recherche de formes de communication. Un lien au cinéma se déploie lentement au sein du texte, à mesure du cheminement étrange de son personnage / R.Fortune, 6 épisodes, 2014.

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Camille Dumond, L’émulsion et la condition, bois, peinture, photographies, dimensions variables, 2013.

 

 

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Camille Dumond, L’émulsion et la condition, détail de l’installation, dimensions variables, 2013.
Photomontage réalisé à partir d’une photographie de groupe montrant les ouvrières de l’atelier d’émulsion de l’usine des Frères Lumières.

Les impulsions qui ont mené R. Fortune à croire que Bois et Cinéma sont liés

Elle parle « 2013 ». Le bois permet de rebondir et de traverser le matériel amnésique de notre équipement moderne. Le bois est utilisé partout – on peut le sculpter. Un film qu’on regarde sur un écran ou grâce à la lumière nécessite tout un matériel technique en phase avec son temps – les supports du moment sont également ceux de l’époque.

« Le bois a toujours existé, dit R. Fortune, c’est évidemment un des premiers matériaux étant arrivés sur terre ». Les dimensions du bois et du film ne sont jamais les même, et les réflexions de la lumière pour produire les deux n’ont, non plus, pas de rapport. Le bois de l’arbre pousse avec la lumière du soleil, sa verdure est privilégiée selon l’accès des branches au vide et donc à l’espace. Le film aussi est une lumière et un espace.
« Il faut remplacer production de bois par production de films » ajoute R. Fortune.

Le groupe autour d’elle se rapproche lentement. Elle passe des images projetées avec une télécommande à la main. Elle commente. Bûcherons gigantesques, regards graves, hypothèses de succès, secteur temporel, secteur industriel, ressources naturelles, objets majestueux, formes noires, lacs et routes liquides, passages organisés, parcours du bois.
Il faut changer les objets de mains, quelque part, les remplacer.
Le film de bois. Le film en bois. La matière visuelle prend son origine avec les champs filmés, les gazons filmés, les branchages filmés, les outils filmés, les coupelles filmées, les chalets filmés, les buissons filmés, les charpentes filmées, les parquets filmés, les barques filmées, les marches, les panneaux, les bûches, les feux filmés.
TV : Le personnage tient dans ses mains un objet qu’il adule, qu’il préfère, qui est le sien. L’ennemi arrive. L’objet est soudain remplacé par un autre, à cause de cet ennemi dans l’histoire, présent à chaque épisode. L’objet nouveau a une valeur étrange, ridicule en comparaison du précédent. Le personnage est déçu. Formes de déception courantes : Collier de perles / cordelette fibreuse. Gâteau meringué / coupelle de métal. Fromage / carton. Statue en or / statue en bois. Les objets ne sont plus précieux, ou au contraire. Ils sont remplacés par des hypra-domestiques ennuyeux qui ne fondent pas sous la dent du personnage. Le bois est ok, lumineux ou aveugle.

Les découvertes théoriques d’ R.Fortune au printemps

Elle parle avec quelqu’un :
« Tu choisis toujours, pour tes films, des situations où les gens sont obligés d’être ensemble. Membres d’une même famille, serviteurs d’une même soirée, soldats d’un même conflit, ouvriers d’une même usine. À cause des circonstances, ils sont comme forcés à se rencontrer, à partager des choses qu’ils préfèreraient garder pour eux en temps habituel. Comme si le fait de filmer créait du lien. C’est sans doute le cas sur le plateau, comme dans un travail pour l’Etat : ces situations nous orientent vers une complicité protectrice, obligatoire. Les gens qui ne choisissent pas d’être ensemble sont plus tolérants. »
J’entends :
« Quel est le lieu ? Oui, on peut en parler. Par exemple, les caractéristiques quand on s’y déplace. »
« On peut parler d’un chemin qui traverse le lieu quand on passe en marchant. Il y a une sorte d’effet parallaxe. J’ai souvent voulu te parler des scieries : D’abord, les morceaux de bois semblent parallèles ; si l’on marche vers la gauche, ils se déplacent vers la droite. Si on entre dans l’espace : ils s’ouvrent. Enfin, quand on passe dessus, il y a un autre chemin qui relie les deux côtés. »
L’autre :
« Je voudrais encore te demander comment c’est apparu. Quand tu laisses entendre qu’il y a une sorte d’invention, que l’on va apprendre quelque chose de la construction, qu’elle est orientée vers un but, ou qu’elle va enseigner quelque savoir… Je ne sais même pas si cela est encore vrai.
Elle :
« A chaque fois que la sculpture est achevée, tout ce dont tu parles se consume en entier. Toutes les relations ne sont pas mesurables. En tout cas je l’espère. Certains le croient, alors ils bâtissent une construction mentale et expliquent leurs intentions. Ensuite, la construction vérifie leurs intentions. »
Je les vois regarder autour d’eux.
Pour nos sculptures, il faut marcher et regarder, c’est tout. La sculpture occupe toute la vallée. Tu disais qu’une de tes préoccupations qui t’as conduit à tourner ce film était  » où est-ce que je m’insère ? « . Je me suis personnellement renseignée sur les déviances systématiques. J’ai récemment lié cette histoire de biais cognitifs avec tes manières d’interpréter les objets et de sculpter les vides filmés. J’ai lu : « Certains biais peuvent être efficaces dans un milieu naturel tels que ceux qui ont hébergé l’évolution humaine, tandis qu’ils se révèlent inadaptés à un milieu artificiel moderne ». La vulnérabilité des formes semble importante.

Le discours de R. Fortune devant la cave express

Ses collants filés, ses talons hauts, sa voix forte. Ils sont assis sur les marches de la cave rêvée en suisse. La cave express comporte une partie sous-terre souvent inondée, et qui fait resurgir les objets du passés, devenus flottants et dont les couleurs s’annulent. L’eau est saturée, doublée d’une odeur – tu as senti l’odeur – laissant des mousses fluorescentes paraître sur la surface sous-terre. Les objets qui flottent font penser R. Fortune aux objets légers. Je lui demande ce qui pourrait flotter chez moi.
« Les fruits, sans doute. »
Elle renifle et touche les murs jaunes, près des marches. La ventilation de la cave a conduit à l’assèchement du bois dans son intérieur le plus veiné. « Mon voisin est en train de construire une serre chez lui. Il ramasse du bois où il peut, et collectionne du verre, mais il n’aime pas le verre, selon lui c’est agressif. Je lui ai dis que c’était pareil pour le bois et la pierre, qu’il y avait bien des pics en bois, des barrières en bois, des flèches. » Elle regarda ensuite les marches avec des yeux ronds.
Nous sommes restés devant la cave, entourés des morceaux de passé.

R. Fortune se débarrasse du problème en regardant des films

Un avion tourne autour d’une planète en relief pâteux. Un lion rugit en regardant vers nous. Niveaux bas, tons saturés. Un enfant défonce une cible en souriant. Une femme en bleu porte une lumière.
Noms de ceux qui ont aidé de bas en haut.
C’est celle qui raconte l’histoire de Frankenstein. Elle sourit. Elle dit : « L’air est rempli de monstres. Une tempête près du lac, la nuit, c’est un orage nocturne en l’an 1816. Suite à l’explosion un an plus tôt d’un volcan indonésien, le climat est particulièrement mauvais cet été là, marqué par de violents orages. »
Un avion atterrit sur une planète en relief sec. Un lion minaude en regardant le sol. Niveaux hauts, tons pastels. Un enfant répare une cible en décrochant sa hache. Une femme en bleu relâche un faisceau.

Camille Dumond

Née en 1988, Camille Dumond vit et travaille à Genève. En 2010, elle réside à Leipzig et continue sa formation à l’École supérieure des Beaux-arts de Nantes-Métropole dont elle sort diplômée en 2012. Depuis, son cursus se poursuit à la Haute École d’Art et de Design de Genève. En 2014, elle commissionne une exposition en ligne et participe à plusieurs expositions collectives à Nice et Saint-Denis ainsi qu’à la biennale de Marrakech.R. Fortune est un personnage fictif développé à travers plusieurs de ses projets.