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Au travers d’un discours non-prononcé par André Malraux à Cayenne, Pierre Michelon  s’intéresse à un épisode marquant de l’histoire de la départementalisation en Guyane française : le référendum de septembre 1958 portant sur la Constitution de la Ve République. « Un petit morceau de bois » aménage cette histoire au gré des versions : celles des gaullistes, des ministres, des indépendantistes, des communistes, ou tout à la fois. C’est le cas de Jean Mariema, figure importante du militantisme guyanais avec lequel l’artiste construit cette ébauche de film. Pour la soirée de performance-documentaire du lundi 31 Mars à Khiasma (lundi de Phantom n°11), il collabore avec David Legrand et invite Françoise Vergès et Mathieu K. Abonnenc à venir partager la discussion. Pour accompagner ce travail en cours, Pierre Michelon a rassemblé des textes et documents qui éclairent chacun à leur manière les enjeux de sa recherche.

11/11/13 > 28/03/14

« L’article que vous allez lire a été écrit dans la nuit du 11 au 12 novembre 2013, quelques heures après la signature de l’accord historique qui acte la fin de la grève des étudiants, des personnels et des enseignants et la naissance de l’Université de Guyane. Il s’agit donc d’un bilan à chaud, que j’ai rédigé en tant qu’acteur engagé dans ce mouvement, puisque je suis membre de l’intersyndicale du campus et représentant du STEG-UTG, syndicat des enseignants affilié à la principale centrale guyanaise. L’article est paru initialement dans L’anticapitaliste, le journal du NPA en France. »

11/11/13 Université de Guyane : victoire totale pour les grévistes

En Guyane (française), dernier territoire colonisé du continent sud-américain, les choses ne changent qu’à travers de durs combats. Il avait fallu la grande mobilisation lycéenne de novembre 96, ponctuée de nuits d’émeutes et d’appels à la grève générale, pour obtenir la naissance de l’Académie de Guyane, et se détacher de la subordination du Rectorat qui était alors situé aux Antilles, à 2 000 km de là. Cette fois-ci, les étudiants, professeurs et personnes du Pôle universitaire guyanais auront mis cinq semaines avant de voir leur combat aboutir.

La victoire est totale, à la hauteur de la détermination des grévistes qui ont tenu un piquet jour et nuit à l’entrée du campus, organisé trois marches dans les rues de Cayenne, tenu bon pendant les vacances et su maintenir jusqu’au bout l’unité de l’intersyndicale et du collectif étudiant. Le protocole de fin de grève (La dernière phase des négociations est en cours à l’heure où cet article est rédigé) acte la création, par décret, d’une Université de plein exercice en Guyane avant la rentrée 2015, au plus tard 2016, la création d’une cinquantaine de postes, pour moitié d’enseignants-chercheurs, pour moitié d’agents d’administratifs, et l’amélioration immédiate des conditions de la vie étudiante en termes de restauration, de logements, de transports. Les deux responsables du Pôle universitaire guyanais les plus contestés ont été démis de leurs fonctions et remplacés par une administratrice provisoire, épaulée par un directoire où l’intersyndicale (composée de trois syndicats nationaux SNESUP-FSU, SGEN-CFDT, SNPTES-UNSA et du STEG-UTG, affilié à la centrale guyanaise anticolonialiste) devrait pouvoir peser dans la perspective de la transition vers le plein exercice.

 

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© Emmelyne Octavie, 2013.

Il faut dire que les dysfonctionnements étaient accablants sur le Pôle universitaire guyanais : pas de resto U, manque de professeurs, précarité généralisée chez les personnels, clientélisme dans l’ouverture des formations et autoritarisme des chefs… Le ras-le-bol était total. Malgré le manque de traditions de lutte chez les étudiants, l’expérience de quelques salariés de la dernière grève en 2003 a permis d’organiser le blocage complet du campus par des Assemblées générales démocratiques, et de faire émerger une nouvelle génération de militant/e/s.

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© Emmelyne Octavie, 2013.

La grève a également profité d’un soutien important de la population, notamment en termes de nourriture, de boissons et de matériel apportés chaque jour sur le piquet de grève, ainsi que du Conseil Général. Mais si L’Etat français a fini par céder, c’est devant la mobilisation des lycéens de Cayenne, Kourou et Saint-Laurent qui ont installé des piquets à l’entrée de leurs établissements en soutien aux étudiants, ainsi que face à la menace très concrète d’un blocage des axes routiers et d’une grève générale en préparation. La venue de Christiane Taubira les 9 et 10 novembre a enfin pesé de tout son poids pour trouver une issue à la crise.

Cette victoire va conduire à un éclatement de l’Université des Antilles et de la Guyane (UAG), dénoncée par les grévistes comme une institution corrompue dont le Pôle guyanais est le parent pauvre comparé aux Pôles martiniquais et guadeloupéen, qui concentrent les services centraux et gèrent les postes et les budgets à leur profit. Il est affligeant à cet égard de constater les réactions de certains universitaires martiniquais comme Raphaël Confiant, doyen de la faculté de lettre, écrivain et intellectuel anticolonialiste, qui s’est permis d’insulter les Guyanais en les traitant d’ « imbéciles » et de « xénophobes ».

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© Emmelyne Octavie, 2013.

La jeunesse guyanaise, qui représente la moitié de la population du pays, a en réalité fait l’expérience de sa force et de sa capacité à peser sur le cours des choses. Le départ vers l’Hexagone ne sera bientôt plus une fatalité pour poursuivre des études. Cette victoire ouvre donc de nouveaux possibles, mais aussi de nouveaux combats, pour que la nouvelle Université soit davantage à l’image des réalités géographiques, linguistiques, culturelles et sociales de la Guyane.

28/03/14

Il a fallu cinq semaines de blocage, et la menace d’un embrasement de la jeunesse, pour que que les plus hauts représentants de l’État décident d’accéder à la revendication historique d’une Université de plein exercice en Guyane. Pourquoi l’Université représente-t-elle un tel enjeu sur ce territoire ? Où en est-on de cette création quelques mois après la signature du Protocole du 11 novembre ? C’est à ces deux questions que je voudrais répondre.

Une vraie Université, un pas vers l’indépendance ?

La Guyane est la plus vaste des dernières colonies françaises, et peut-être potentiellement la plus riche. De la taille du Portugal, hôte de l’Agence spatiale européenne à Kourou, voisine du « géant brésilien » qui s’impose comme puissance régionale, ses ressources sont encore faiblement exploitées. La biodiversité de la forêt amazonienne, qui couvre 90% du territoire, attire multinationales et laboratoires pharmaceutiques, tandis que le pétrole, l’or et les autres minerais pourraient financer un développement endogène qui sortirait la population de la dépendance vis-à-vis de la métropole.

Le mouvement pour l’Université a su cristalliser les espoirs d’une société en pleine croissance démographique. Les moins de 30 ans y sont majoritaires, mais un jeune sur deux se trouve aujourd’hui au chômage. L’État préfère laisser vivoter la population grâce aux allocations, au RSA et aux djobs non déclarés, plutôt qu’allouer les moyens nécessaires à l’éducation et la formation des jeunes générations. On achète la paix sociale au prix de l’assistanat.

Des sommes considérables sont dépensées en primes d’éloignement pour les cadres métropolitains et antillais, majoritaires parmi les enseignants du secondaire et de l’Université, comme dans le reste du secteur public et dans le privé, qui gonflent artificiellement le niveau de consommation et le prix des logements. La richesse ostentatoire jouxte ainsi la grande pauvreté, selon un modèle qu’on peut qualifier d’économie de transfert : l’argent public arrivé de France sous la forme des minima sociaux et des salaires majorés des fonctionnaires, retourne en France sous la forme de la consommation.

Dans ce modèle, la Guyane est vassalisée par les classes dominantes des Antilles, qui servent d’intermédiaire avec la métropole : les importateurs antillais monopolisent le secteur de la grande distribution et de la vente d’automobile, encaissant des surprofits, de la même manière qu’au sein de l’Université des Antilles-Guyane (UAG), les Pôles de la Martinique et de la Guadeloupe ont su capter à leur avantage les postes et les moyens qui auraient du être alloués au Pôle Universitaire Guyanais (PUG).

En finir avec le contre-développement : tel est l’espoir soulevé par la naissance de l’Université de la Guyane. La plupart des acteurs ont pleinement conscience de cet enjeu, aussi bien du côté de l’intersyndicale qui a mené le combat, que des élus locaux, qui l’ont mollement soutenu, et des décideurs métropolitains qui l’ont attentivement observé.

A nou ki raché’l, a pou nou bati’l !

C’est nous qui l’avons gagnée, c’est à nous de la construire ! (slogan des grévistes).

La création de l’Université était une nécessité historique, au vu de la rapide croissance démographique guyanaise. Les administrateurs de l’UAG pouvaient seulement en retarder la création, ce qu’ils ont fait pendant des années. Cependant, l’orientation que prendra cette Université dépend des rapports de force à l’œuvre.

La recherche est l’un des enjeux majeurs de toute Université : c’est le travail mené dans ses laboratoires qui détermine la qualité des enseignements qu’elle dispense et les financement que l’État lui alloue. La situation de la Guyane précédemment exposée en renforce la portée stratégique.

Jusqu’à présent, les laboratoires de recherche étaient majoritairement basées aux Antilles et les enseignants-chercheurs du PUG, face au manque de personnels, consacraient plus de temps à assurer les cours et monter les diplômes de Licence qu’à la publication de leurs travaux dans les revues scientifiques.

Pourtant, la recherche existe depuis des décennies en Guyane, mais au sein d’organismes comme le CNRS, l’IRD, l’INRA, qui n’ont pas de missions d’enseignement. Cette recherche de haut niveau a toujours été menée en fonction des intérêts de la France, et  son impact sur le territoire a toujours été très faible. Ces scientifiques, principalement spécialisés dans la botanique, l’étude de la faune, les cultures autochtones ou le spatial, effectuent des missions de courte durée sur le terrain, sans contacts réels avec la société locale.

Or, tout indique aujourd’hui que l’Etat a accepté que nous sortions de la tutelle de l’UAG, pour nous soumettre à celle des organismes de recherche : Anne CORVAL, l’Administratrice provisoire nommée suite à la grève, était la Directrice du CNRS Guyane, et Philippe LACOMBE, le nouveau Recteur fraichement débarqué, est l’ancien Directeur de l’IRD de Tahiti.

Si les grévistes se sont mobilisés pour une Université qui soit enfin mise au service de son territoire et de sa population, il n’est pas évident que ces responsables nommés par l’État pour assurer la transition, qui ne passeront que peu de temps en Guyane, mettent en œuvre une telle orientation.

Dès la fin de la grève se sont mis en place des ateliers, au nombre d’une dizaine, à l’initiative de l’intersyndicale, pour travailler à la mise en place de la future Université. Ces ateliers sont ouverts à la société civile, et leur légitimité a été reconnue par l’Administratrice provisoire suite à une mobilisation au mois de décembre.

Les défis sont importants pour cette Université et ses défenseurs devront continuer à faire preuve de ténacité, d’audace et de créativité pour répondre aux besoins du pays. Nous en évoquerons trois rapidement, qui traversent les différents ateliers thématiques.

Une Université de qualité, qui permette de sortir du cercle vicieux de l’échec scolaire.

Pendant longtemps, l’UAG a délivré en Guyane certains diplômes avec un contenu très insuffisant. Les grévistes ont dénoncé des « diplômes à trous », faute d’enseignants pour assurer toutes les matières, et des diplômes de complaisance, quand des enseignants valident leur cursus de licence à des étudiants au niveau très faible afin de pérenniser leur filière malgré le petit nombre d’inscrits.

Cette réalité s’adosse à des résultats très médiocres de l’Académie de Guyane, dans le primaire comme le secondaire, et au fait que les familles guyanaises qui en ont les moyens envoient traditionnellement leurs enfants poursuivre leurs études en métropole ou en Martinique plutôt que les inscrire au campus de Troubiran.

Le nombre d’étudiants guyanais a déjà rattrapé les Pôles de Martinique et de Guadeloupe et sera en constante augmentation pour les vingt ans à venir. Il a atteint la masse critique suffisante pour élargir la carte des formations, et le recrutement d’une vingtaine d’enseignants-chercheurs est nécessaire pour faire face aux besoins.

Cependant, l’UG ne devrait pas reproduire le fonctionnement élitiste des Universités françaises, où de nombreux étudiants quittent l’Université sans diplôme. Il est urgent de réfléchir à l’encadrement des étudiants, au pratiques pédagogiques, et à la formation des futurs enseignants du primaire et du secondaire, pour que l’UG devienne enfin le moteur d’un cercle vertueux du système éducatif guyanais.

Une Université ouverte sur son environnement

L’école en Guyane est largement extérieure à son environnement. Alors que le système est censé corriger les inégalités, il ne fait en réalité qu’enregistrer et sanctionner la distance sociale, linguistique, symbolique qui sépare la culture scolaire de la culture familiale des élèves. On dit parfois des élèves qu’ils ne sont pas adaptés à l’école, mais c’est l’école française en Guyane qui est largement inadaptée (Sur cette question, voir les différentes contributions de la brochure Quelle école pour les enfants de Guyane ? Ki lékol pou timoun Lagwiyann ? publiée par l’Association guyanaise d’édition et le STEG-UTG).

L’UG n’arrivera à rompre la spirale de l’échec, à inspirer un cercle vertueux, qu’en enracinant ses enseignements dans son environnement sud-américain, amazonien et guyanais. Plutôt que former une élite qui tourne le dos à son peuple en regardant exclusivement vers l’Hexagone, elle devrait rassembler les savoirs accumulés au fil des générations, que détiennent certains anciens dans chacune des communautés qui forme le pays, en même temps qu’elle dispense le meilleur des savoirs et techniques forgés par la modernité qui peuvent être utiles à la société.

Certaines ouvertures de filières sont à ce niveau prioritaires : le département d’histoire est une revendication historique du STEG-UTG, mais aussi les filières liées aux métiers du spatial, du bois, de l’or, de la pêche, à la médecine.

Une Université critique et démocratique

« Il est difficile d’expliquer à quelqu’un qui a les idées étroites qu’être « éduqué » ne signifie pas seulement savoir lire et écrire et avoir une licence, mais qu’un illettré peut être un électeur bien plus « éduqué » que quelqu’un qui possède des diplômes » Nelson MANDELA

Le savoir peut diviser, en laissant penser à celui qui le détient qu’il est supérieur à celui qui en est privé. Il peut aussi rassembler, en posant les bases d’un mieux-vivre-ensemble. Il faut impérativement sortir de cette culture de l’invective haineuse, de la concurrence systématique entre composantes, de ce bal des égos démesurés que Raphaël CONFIANT a su si parfaitement incarner parmi les mandarins de l’UAG (Voir, comme exemple prometteur de l’exaspération que commence à susciter le doyen de la faculté de Lettres de la Martinique autour de lui, la pétition qu’ont lancé ses étudiant/e/s demandant sa démission et le respect de règles minimales de bienséance à l’Université). Il est urgent d’insuffler sur nos campus une vie intellectuelle fondée sur la libre discussion. Quel sera le visage de la Guyane dans vingt ans ? Les étudiants et universitaires ont un rôle à jouer dans le débat public lié au devenir de leur société.

Ces trois défis concernent la formation initiale, mais également, et beaucoup plus qu’on ne le pense généralement, la Formation continue qui doit prendre une place majeure dans le paysage universitaire. Les besoins de la population en termes de qualifications sont criants, et un diplôme comme le DAEU, équivalent du bac qui permet l’accès aux études universitaires, devrait être préparé dans toutes les communes.

Conclusion

Depuis la signature du Protocole d’accord du 11 novembre 2013, l’intersyndicale et le noyau dur des grévistes n’ont pas cessé de se mobiliser pour faire respecter les clauses et avancer vers l’UG. Face aux tentatives de l’ancienne équipe et de la direction de l’UAG de maintenir le statu quo en verrouillant les instances de décision, nous avons multiplié les Assemblées générales, les réunions de travail, les négociations, et nous avons du envahir plusieurs Conseil d’Administration et même bloquer l’administration une matinée.

Le décret de création de l’UG devrait sortir dans les jours qui viennent, un nouveau Président sera nommé en mai, et alors, même s’il faudra attendre 2014 pour disposer d’un budget propre, même s’il faudra continuer à batailler ferme pour obtenir les postes promis et les moyens nécessaires au fonctionnement, la grève d’octobre – novembre 2013 aura atteint son principal objectif.