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A l’occasion de l’exposition ‘Ici & Ailleurs’, Khiasma poursuit ses rencontres dédiées aux projets artistiques menés dans le champ social et scolaire. Avec les intervenants : Anne Collod (Chorégraphe – CAC collège Marie Curie) ; Clémence Delbart (Artiste – Intervenante dans le projet ‘Complètement à l’Est) ; Juliette Delestre (Psychologue clinicienne – Intervenante dans le projet ‘Ici Bientôt’) ; Matthieu Dibelius (Cinéaste – Intervenant dans le projet ‘Ici Bientôt’) ; Paulina Ruiz (Chorégraphe – TAP dans quatre écoles des Lilas), Louise Harlet (Association les Fripons – Intervenant dans le projet ‘HistoireS de quartier).
Une rencontre modérée par Olivier Marboeuf, qui ouvre la discussion en précisant ses enjeux : Comment travailler avec le contexte dans lequel on se place ? Quelles limites, mais aussi surprises les intervenants ont-ils rencontrés ? Comment mettre en dialogue et en perspective les expériences de chaque intervenant.e.s ?
Anne Collod, chorégraphe membre du collectif Dingdingdong1 revient sur sa résidence au collège Marie Curie des Lilas. Après plusieurs années sans être intervenue en milieu scolaire, Anne dévoile que son arrivée en contexte collégien, avec sa classe de 26 élèves, fut une véritable confrontation avec le réel, la poussant à abandonner ses projections et fantasmes du projet artistique parfait, sans galères aucunes et épanouissant pour toutes les parties impliquées. Dès les premiers temps de travail avec les élèves, elle a réalisé que certaines de ses demandes, qui semblaient aller de soi, comme écrire et décrire des gestes, des faits, était au final un exercice difficile. Son premier constat fut donc de trouver des modalités d’entrée pour capter les élèves et les amener dans son sens. Parmi ces modalités, nous retiendrons tout particulièrement la nécessité d’effectuer des sous groupes au sein de la classe, de faire des sorties hors les murs avec les élèves (Une sortie a été programmé au théâtre de Chaillot, trois à l’Espace Khiasma), mais aussi d’introduire de différents usages dans les lieux connus par les élèves tels les ateliers de portraits chorégraphiques, filmés dans le gymnase du collège. En introduisant un jeu collectif, dans l’espace scolaire, Anne a réussi le pari de fédérer la classe qu’elle avait en charge tout en les amenant à s’investir davantage dans le projet. En parallèle de ce dialogue permanent avec les élèves, Anne pose aussi la question du rôle des professeurs accompagnants : Comment en faire des alliés dans la conduite du projet ? Comment partager une réflexion commune avec eux ? Dans un contexte scolaire où professeurs naviguent à flux tendus, quel temps prendre et réserver à cet échange pour autant nécessaire ?
Paulina Ruiz, rebondit sur l’intervention d’Anne Colllod et les modalités d’entrée, ‘règles d’or’ qu’elle a mis en place au sein de ses quatre groupes scolaires (écoles Romain Rolland, Victor Hugo, Paul Langevin et Waldeck Rousseau, Les Lilas) pour travailler l’image que les enfants suivis ont d’eux-mêmes, des autres et de l’altérité en général. Au cours des ateliers qu’elle a mené, elle a constaté un mimétisme frappant des représentations Hommes/Femmes que nous donne à voir la télévision et une grande majorité de médias. Comment réagir lorsque, dans le cadre d’un atelier de vidéodanse, une petite fille de 8 ans fait du twerk ? Comment travailler avec cette base et l’amener à une réflexion critique sur le geste opéré ? Paulina, souligne l’importance du contexte multiculturel, en dialectique avec un ensemble de questions de société comme le fait religieux par exemple, en milieu scolaire, est à prendre en compte dans la manière de faire ses interventions pour trouver des réponses aux questions que les enfants se posent. Travailler la question du corps fragmenté et du corps abstraction est une des réponses proposé par Paulina.
Matthieu Dibelius, intervenant dans le dispositif ‘Ici Bientôt – Les mots qui touchent’2, avec le groupe des Humanoïdes réunissant des jeunes des Lilas est aussi animé par le désir de bousculer le groupe auprès duquel il intervient. Cette question anime en fait tout son travail d’intervenant. Ainsi, il met en échos le travail conduit avec Khiasma, avec ses expériences en institution où l’introduction de certaines pratiques, comme la vidéo, bousculait le cadre établi. Avec l’association Les Alentours3 il initie des espaces de créations collectives, où l’on n’a pas peur de dérailler dans l’imprévu. En considérant les émergences avant les compétences, il propose d’interroger la manière dont les professions et les pratiques se transforment lorsqu’elles se frottent les unes aux autres.
Louise Harlet, membre de l’association Les Fripons4 , utilise également le numérique comme un outil de sensibilisation. En partant de photographies d’archives pour le projet ‘HistoireS de quartier’ au collège Pierre Mendès France, le numérique a été couplé avec la question de l’intergénérationnel pour valoriser le quartier Fougères-Le Vau. Ces outils, ont été approuvés et défendus par les professeurs ayant suivis le projet. Carine Dreujou, professeure du dispositif ULIS5, dans la salle, témoigne : La vidéo est un moyen de travailler le regard que les élèves ont d’eux-mêmes mais aussi que nous portons sur eux. Elle est une trace tangible, d’un processus qui manque parfois de visibilité. Carine, revient également sur les propos d’Anne Collod, au sujet de la difficulté de travailler avec le groupe dans son entier où il est difficile de synchroniser les pensées des élèves. Une fois de plus, composer en sous-groupes, réaliser des sorties hors les murs (dans le cadre de ce projet, au musée de l’immigration), les rencontres entre élèves et personnes extérieures à l’établissement ont été des moyens employés pour sensibiliser et concerner les élèves. A ce sujet, Louise souligne que le fait de ne pas être professeure, d’intervenir en collaboration avec son frère Nicolas au cours des ateliers, ont été des atouts pour les placer dans un rapport d’autorité différent avec les élèves.
A l’inverse des projets conduits en institution, auprès de groupes constitués, Clémence Delbart, intervenante dans le projet ‘Complètement à l’Est’ a expérimenté la discontinuité comme source d’énergie possible d’un projet: Des séances dans des lieux différents, avec des personnes changeantes, en faisant tout pour casser d’éventuels binômes afin de produire des rencontres et permettre à de nouvelles relations d’exister.
Cette expérimentation de la discontinuité d’un groupe, Juliette Delestre, impliquée dans le dispositif ‘Ici Bientôt – Les mots qui touchent’ avec une groupe de mineurs étrangers isolés est au centre du projet, où il est impossible d’exiger une régularité de la part des participants. Elle évoque aussi, l’importance de la complémentarité des intervenants, en partant de sa pratique en tant que psychologue clinicienne, en relation avec le rappeur Da’pro pour les ateliers ‘Ici Bientôt’.
Cette dualité-complémentarité entre intervenants et accompagnants (professeurs ou autre) pose la question du cadre de projet duquel ils sont garants. Faut-il déterminer son rôle, sa place, dès le premier jour du projet, ou bien est-il préférable de se découvrir au fur et à mesure des séances comme l’on fait Juliette Delestre et Matthieu Dibelius auprès de leurs groupes respectifs pour le projet ‘Ici Bientôt’ ? Dans le même registre, Carine Dreujou s’interroge sur la nécessité ou non de définir en amont du projet, un ou des objet.s / production.s finies de type restitution, face aux risques d’instrumentalisation. Mais pour autant, comme nous le rappelle Olivier Marboeuf, la capitalisation est au cœur du processus artistique. Face à cet ‘art non désiré’ {par les institutions} comme le définit Olivier, comment défendre ces actions face aux regards des décideurs sans pratiquer une mise et remise en récit permanente de ces projets ?
Une question du public résonne avec cette problématique de la dualité de l’artiste-intervenant : “Comment faire ricocher dans sa pratique artistique personnelle, ces actions de sensibilisations ?”. Ce à quoi, Paulina Ruiz et Clémence Delbart ont répondu qu’elles utilisaient ces ateliers comme une des sources de leur créativité.
Pour conclure et ouvrir le débat sur cette question, Clémence Delbart et Nina Fabrer ont présenté la performance ‘Pratique de la relation’, construite à partir des témoignages de participants de Complètement à l’Est, enrichies de leur propre parole. Une conversation entre elles deux est diffusée dans l’Espace, debout au centre, l’une commence à coudre l’habit de l’autre avec un fil déjà noué à son habit, un geste qui se poursuit jusqu’à la fin de la performance, comme la matérialisation de l’écart entre deux qui existe par les liens et les tensions dans la relation.
- Collectif Ding Ding Dong : Rassemble des artistes, des écrivains, des philosophes, des chorégraphes autour d’une maladie génétique rare et incurable : la maladie de Huntington. L’enjeu de ce collectif est de coproduire un ensemble de connaissances et savoirs sur cette maladie. [↩]
- Les participant·es y mènent un travail d’exploration sur l’impact de la parole, ce qui la rend singulière, violente, humiliante, puissante ou séduisante et y font émerger des mots problématiques, qui les touchent, les intriguent ou les passionnent. Chaque semaine, ce sont autant de moments conviviaux de partage, de doute et de débat. Ce projet est conçu en partenariat avec l’Espace Jeune Mahalia Jackson, l’Espace jeune Mandela, le collectif Noise la ville et l’association Utopia 56 – pôle mineurs étrangers, Paris d’exil – pôle TIMMY. [↩]
- www.lesalentours.org [↩]
- Les fripons sont des instituteurs, des artistes, des vidéastes, des travailleurs sociaux, réunis dans le but de mettre en place des ateliers de formation à l’audiovisuel à destination des jeunes, d’accompagner des équipes pédagogiques dans l’utilisation du numérique au sein de leurs pratiques, et de manière générale de favoriser la transmission des savoirs en utilisant des méthodes innovantes. [↩]
- Unité localisée pour l’inclusion scolaire [↩]