.net

Article — Phantom

Lundi de Phantom n°11 de Pierre Michelon (6)

Texte de M.-C. Newton, P. Carpentier, S. Alphonsine, R. Charlotte

Au travers d’un discours non-prononcé par André Malraux à Cayenne, Pierre Michelon  s’intéresse à un épisode marquant de l’histoire de la départementalisation en Guyane française : le référendum de septembre 1958 portant sur la Constitution de la Ve République. « Un petit morceau de bois » aménage cette histoire au gré des versions : celles des gaullistes, des ministres, des indépendantistes, des communistes, ou tout à la fois. C’est le cas de Jean Mariema, figure importante du militantisme guyanais avec lequel l’artiste construit cette ébauche de film. Pour la soirée de performance-documentaire du lundi 31 Mars à Khiasma (lundi de Phantom n°11), il collabore avec David Legrand et invite Françoise Vergès et Mathieu K. Abonnenc à venir partager la discussion. Pour accompagner ce travail en cours, Pierre Michelon a rassemblé des textes et documents qui éclairent chacun à leur manière les enjeux de sa recherche.

01SOUTHAMERICA

 

La Guyane en Amérique Latine

Cet article est paru en espagnol dans la revue d’ALAI América Latina en Movimiento, N°474,

« La descolonización inconclusa », avril 2012.

À l’inverse des pays latino-américains et caribéens qui ont mis en place démocratiquement par les urnes des structures géopolitiques, économiques, financières, éducatives et culturelles, la Guyane est un corridor militaire français et européen contesté au vu des nombreuses violations internationales exercées contre son peuple et d’un prétendu referendum (des 10 et 24 janvier 2010) qui n’en était pas un car il fût taillé par [l’ancien] chef de l’État Nicolas Sarkozy et rejeté par 71% des inscrits (taux d’abstention). Le pays est occupé par ses peuples autochtones et de populations migrantes semblables à celles du Brésil, du Surinam, Guyana, Venezuela, Bolivie, Pérou, Belize… Elle se situe entre la République Fédérale du Brésil et la République du Surinam.

Les fleuves Oyapock vers le Brésil et Maroni vers le Surinam en sont les frontières naturelles de navigation, ces routes humides restant les plus fiables aujourd’hui, eût égard au non développement structurant, le pays apparaît comme le plus appauvrît de la région. Les ressources multiples : fossiles, halieutiques, pétrolifères, minières (or, plomb, manganèse uranium, bauxite, aluminium, kaolin, diamant…), le bois, la biodiversité, l’environnement amazonien sont pillées par les consortiums de multinationales qui jouissent de la part de l’État français de droits d’accès réservés d’exploitation, de brevetage du vivant et du biopiratage. Les administrations détachées (Direction Régionale de l’Industrie et de la recherche – DRIRE, Direction Régionale de l’Environnement – DIREN, la Direction Départementale de l’Équipement – DDE, l’Office National des Forêts – ONF, et les Douanes) participent directement à la spoliation de ses richesses sans retour équitable à la nation.

L’écrivain martiniquais Édouard Glissant pointait en analyse les distorsions qu’il y a entre la réalité d’un système démocratique et l’apparence de ce même système politique. La dite démocratie en Guyane se résume à une non légitimité de ses élus du fait statutaire obsolète. Le 18 septembre 2009 une requête d’inscription de la Guyane sur la liste des pays à décoloniser à l’ONU adressée au président du Comité spécial de Décolonisation, est reprise aujourd’hui et adressée aux juristes, aux corps de métiers, aux universitaires, aux syndicats, à la société civile et aux associations aux fins d’obtenir l’adhésion la plus large du peuple guyanais. Nous utiliserons tous les recours légaux et illégaux, pour la puissance administrante, pour faire entendre la voix de la Guyane auprès de l’ONU, OEA, CARICOM, ALBA, MERCOSUR, UNASUR, EOALBA, CELAC et le World Peace Council. Nous rappelons que face aux dérives de l’ONU et aux obstinations hégémoniques de la France, la Guyane émancipée ou non n’en continue pas moins d’être dépossédée de ses mémoires et patrimoines.

Compte tenu de sa position géographique, la Guyane sert de base avancée pour toutes les opérations internationales de déstabilisations de gouvernements légitimes. Le 29 février 2004 intervention en Haïti, le 9 juillet 2008, un avion espion Hercule C 130 est immobilisé à Manaus après avoir violer l’espace aérien brésilien dans le cadre de l’opération « 14 juillet », ayant pour mission la libération d’Ingrid Betancourt, utilisation du territoire comme zone d’expédition armée contre le gouvernement surinamien en place, dès 1982… Le radar de Troubiran et le Centre Spatial Guyanais (CSG) permettent l’observation de tous les pays de la région afin d’en contrôler les révolutions latino-américaines et caribéennes. Avec l’arrivée de Galileo (satellite militaire), la France dispose de 40.000 hommes, barbouzes, retraités en activité sur place au sein du commandement de l’État-Major des forces armées et des services de renseignements stationnés en Guyane, elle peut intervenir contre les indépendantistes guyanais et les peuples ou gouvernements solidaires en lutte contre tous les impérialismes sur le continent. Le Président de la république française a le pouvoir de décision d’utiliser cette arme redoutable.

La collaboration de gestion néocolonialiste France-USA (Présence militaire US en Colombie) y affaiblit les mouvements de contestations liés à la recherche de la paix. Pour exemple, en raison du différend entre le Venezuela et les USA la France se charge des investigations sur le sol vénézuélien. Les relations exclusives de la France avec la Guyane, du fait colonial, entraînent l’exclusion systématique de la Guyane des affaires de son continent : sur le plan agricole, le cheptel bovin est constitué de zébus d’Italie, et de taureaux importés de France avec interdiction d’en commander au Brésil, l’or produit est laminé en France puis est retourné vers les bijouteries guyanaises, les échanges commerciaux et culturels sont facilités vers l’Europe, mais tournent en tracasseries administratives et diplomatiques, dès qu’il s’agit de circuler sur le continent. Les élus du peuples guyanais n’ont aucun pouvoir en matière de coopération inter-régionale, c’est là encore l’État français qui décide pour ses institutions dans l’intérêt franco-européen. En revanche la Guyane lui sert de moyen d’infiltrer et d’influencer les réunions internationales qui se tiennent dans la zone : le Surinam membre de l’OEA, de l’ONASUR, du CARICOM, et de l’OTCA reconnaît officiellement la Guyane comme un département français, en gage de bon voisinage métaphysique. Les tentacules de la diplomatie française interdisent l’émergence de tout appareillage politique qui concrétiserait l’intensité de la perception collective du destin commun du peuple guyanais et de son optimal degré de souveraineté.

La loi d’amnistie votée le 4 avril 2012 par les députés surinamiens en faveur de Monsieur Desi Bouterse président élu le 12 août 2010, met fin aux poursuites engagées par l’ancienne puissance coloniale et le Surinam pour de supposées liquidations de 15 opposants. Quelle leçon à tirer de la désapprobation de la Haye qui a aussitôt rappelé de Paramaribo son ambassadeur en consultation, ainsi que les U S A et la chancellerie française. Alors que le Surinam fournit la banane à la France, des produits de premières nécessité : riz, sucre, banane, livrés en Guyane font l’objet de destruction par les services de douane et phytosanitaires alors mêmes que les revendeurs en présentent les pièces administratives en bonne et due forme. Ces actes de vandalisme scandaleux ont pour effet de contraindre les guyanais à consommer du sucre de betterave, du riz de Camargue, des bananes de la Martinique, de réduire l’achat de matériel scolaire à meilleur prix alors que les prestataires de service importent de France ces produits à coût prohibitif. La Guyane souffre de démocratie alimentaire, éducative agricole. Le partenariat Guyano-surinamien se heurte aux obstacles inhérents à la colonisation. Les pays occidentaux persistent depuis la Guyane à interférer dans les affaires surinamiennes alors que la diplomatie de non-ingérence surinamienne dans les affaires guyanaises paraisse pragmatique. Nous affirmons que ce gouvernement est victime d’une discrimination raciale ; In memoriam : le « Promotion of National Unity and Reconciliation Act » de 1995 sous la présidence de Nelson Mandela qui avait été bien accueillie par la soit disant communauté internationale. Le projet d’un pont transfrontalier Guyane-Surinam, cher au président de la République du Surinam, bénéfique pour la libre circulation des biens et des hommes de la Patagonie à Belize, est pour l’heure suspendu tout comme le pont fantôme « mur de Berlin » construit sur l’Oyapock. Pas d’empressement à acheter des poussins, les services proposent une subvention aux éleveurs de Guyane pour s’en procurer made in France. Quoiqu’il en soit trouver une réponse chez les guyanais ; quarante mille touristes passent par le bac Albina, ville frontalière de Saint Laurent du Maroni. Le coût prohibitif d’un visa français à partir de la place de Kwaku (Paramaribo) n’est pas un mystère pour les guyanais. La France a fait le choix de brider les voisins c’est de l’arnaque. Cependant les Présidents bolivien, vénézuélien, uruguayen, équatorien et argentin refusent régulièrement que la France siège aux réunions internationales dont le but est de préserver les intérêts communs latino-américains.

Au fil de dix années, des initiatives privées font en sorte que des groupes guyanais participent au Forum Social Mondial à Belém, Porto-Alegre, où des mouvements indépendantistes participent aux Congrès du PT brésilien, ou encore des organisations non gouvernementales se retrouvent à côté du PSOL. Les manifestations sportives inter scolaires du plateau des Guyanes doivent revêtir un cadre nouveau dans le développement de relations harmonieuses et fraternelles.

Reprenons l’analyse des distorsions de la démocratie dans notre pays (comme étant la forme européenne la plus achevée de la recherche du bien-être et le problème de son apparence masquant sa réalité coloniale) évoquée plus haut avec Édouard Glissant nous la prolongeons ici (reproduite dans notre contexte guyanais) avec celle de l’écrivain Patrick Chamoiseau in « Manifeste pour une Méta-nation » en son alinéa n°11 : « La souveraineté met fin à toute forme de colonisation en dotant une entité collective d’un outil politique capable de (…) maîtriser et de choisir les interdépendances qui lui sont nécessaires ».

L’entité historique, culturelle et identitaire que constitue le peuple guyanais a donc atteint l’intention et l’exigence, d’un projet global, d’un État indépendant, d’un pacte défini et d’une vision du monde. Nous revendiquons une souveraineté guyanaise inscrite tel un écosystème dans l’écosystème du monde. Cette souveraineté recouvrant nos peuples unis, est l’expression de notre volonté commune, une dynamique de nos consciences mémorantes somptueusement légitime de notre entité collective vivante.

Marie-Claire Newton, Pierre Carpentier et Servais Alphonsine sont adhérents du Mouvement de Décolonisation et d’Emancipation Sociale (MDES) de Guyane ; Raymond Charlotte est cofondateur de l’Organisation Guyanaise des Droits Humains (OGDH), poète, représentant en Guyane du Séminaire Ibéroaméricain d’Etudes Socio-économique (SIESE), un des pères vivants de la nation guyanaise.

Pierre Carpentier est poète, Commissaire Relations Internationales du MDES, Membre de l’Institut du Tout-Monde fondé en 2006 par le poète caribéen Édouard Glissant.