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Comme un lundi : «Le fond de l'art est noir*»

On célèbre un peu partout cette année les 50 ans d’une vieille fable. Mai 68 a le verre de champagne tremblant à la bouche et la larme à l’œil dans les toilettes des musées. Mais il ne faut pas jeter trop vite le bébé bourgeois avec l’eau pétillante de son bain car dans les plis de l’histoire il reste toujours de beaux héritages, des épisodes oubliés et quelques braises qui font parfois de magnifiques retours de flammes. Françoise Vergès en sait quelque chose, elle qui sera bientôt à Nanterre et à Londres avec Angela Davis et Tariq Ali pour une conférence Global 68 qui regarde un peu plus loin que la Sorbonne. Il y a bien une autre histoire dans cette affaire et elle résonne peut-être aussi avec aujourd’hui, pas seulement parce que les CRS ont brusquement retrouvé les bancs de l’université ou qu’ils cueillent dorénavant les légumes bios à la matraque. Le fond de l’art est noir et ça sent un peu plus que jamais la poudre décoloniale. Rien qui ne nous garantisse que le bruit et l’odeur vont durer mais les points frictions autant que les lieux sûrs se multiplient comme jamais pour faire entendre la fanfare discordante des spectres de l’Histoire à la française. Comme le dit Kader Attia en évoquant son lieu la Colonie, « La continuité de Mai-68 c’est comprendre que si le système ne vous aide pas, il va falloir s’autonomiser et construire soi-même sa niche de résistance puis, autant que faire se peut, la connecter avec d’autres niches de résistance... ». Le fond de l’art est noir. Kader et Mohamed s’introduisent dans les musées et pas seulement pour voler des sacs à main, quand la question de la banlieue invite ses corps sans nom au bal des zombies au MAC VAL. Pas sûr que ça suffise mais c’est déjà ça de pris. « On est encore là, prêts à foutre le souc et tout le monde est cor-da » aurait dit le poète aux dents couvertes d’or. En tout cas, on entend bruisser dans les premiers jours du printemps. Alors qu’Ingrid Luquet-Gad se demande dans les Inrocks si « L’art français vit-il enfin son moment de décolonisation ? », Kader Attia déplie son propos aiguisé dans l’Officiel tandis que Mireille Besnard dans LIGEIA propose d’aller « vers la décolonialité ».
Tous évoquent le travail et l’histoire de Khiasma et ça fait souffler un vent d’air frais du côté des Lilas où le fond de l’art est décidemment noir.

Actuellement à l’Espace Khiasma : «OP-FILM : une Archéologie de l’optique», de Filipa César et Louis Henderson (jusqu’au 28 avril du mercredi au samedi de 15H à 20H)

* Titre détourné du film de Chris Marker sur Mai 68 et ses suites, « le fond de l’air est rouge » (1977)

Photo : Vue de l'installation "Refracted Spaces" de Filipa César et Louis Henderson à Khiasma. Photo Romain Goetz

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    Comme un lundi : «Ce dont la fin de Khiasma est le nom»

    Quand un petit centre d’art associatif tel que l'Espace Khiasma ferme dans la proche banlieue de Paris, en Seine-Saint-Denis précisément, c’est forcément un signe des temps. Happy Mondays: «What the end of Khiasma stands for» When a small-scale independent art centre like Espace Khiasma closes in the Paris suburbs, in the district of Seine-Saint-Denis specifically, it is necessarily a sign of the times.

  • La Loge, The (Archival) Box — récit d'une résidence par anticipation [ExposerPublier]

    Notes du vendredi 2 mars 2018 "Ce que nous sommes : un collectif d'artistes chercheurs et de graphistes. Ce que nous produisons : des formes et des signes à partir d'une matière première. Ce que nous allons faire à Khiasma : une résidence de recherche et production (de formes et de signes) à partir d'une matière première qui est le centre d'art lui-même, ce qu'il produit (de la recherche, du savoir, des œuvres, des relations, de l'archive par la radio,…), ainsi que le contexte territorial dans lequel il s'inscrit.

  • La Loge, The (Archival) Box — récit d'une résidence par anticipation [ExposerPublier]

    Samedi 22 septembre On n’imagine jamais que cela puisse arriver, en vrai. Les journées défilent, les idées s’enchaînent, les urgences aussi. Et puis, un jour, il est peut-être trop tard. Trop tard pour réaliser certaines choses, trop tôt pour d’autres probablement. J’avais imaginé tenir les Mercredis de La Loge, ou des Chroniques d’excavation. Cela devait commencer au mois d’août et s’ouvrir sur une rue déserte, écrasée par la chaleur de l’été. J’avais commencé un texte. Il évoquait les discussions que nous avions eues depuis un an autour de cette table trop grande pour cette demie cuisine, trop bancale pour ces longues réunions, trop petite pour ces nombreux.ses convives. Nous devions entamer ce mois-ci notre année de résidence, devenir (enfin) les concierges du centre d’art dont nous avions écrit les rôles.

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    Comme un Lundi : «Le lieu se fait en nous»

    ... Mais il a fallu faire un lieu. Fatalement. Pourquoi donc ? On ne le sait pas. Khiasma est un accident qui est si signifiant avec le temps qu’on aurait du mal à le penser comme un fait du hasard. Mais du mal aussi à l’expliquer autrement que comme une démangeaison qui un jour devient une pensée en acte. Happy Mondays: «The place becomes within us» ... But there was a place to make. Fatally. Why so? We do not know. Khiasma is an accident that’s become so meaningful in time that it’s difficult to picture it as the result of pure chance. Difficult, too, to explain it otherwise than as an old itch turned one day into a thought in action.